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IECCC Conflits Cultures Coopérations
Pédagogie des rencontres et des conflits transculturels

Par Karl-Heinz Bittl et Hervé Ott
Livre à paraître début novembre chez Chronique sociale

1. INTRODUCTION

À propos de la structure de ce livre

Un manuel
Nous avons longuement réfléchi quant à la structure que nous voulions donner à ce livre. C’est finalement notre démarche de “ praticiens ” qui s’est imposée pour réaliser un manuel, dans lequel nous exposerions le “ matériel ” avec lequel nous travaillons. Nous avons donc cherché à ce que les “ outils ” qui servent de trame à cet ouvrage soient transmis avec leur mode d’emploi, leurs effets et leur arrière-plan. Pour faciliter l’accès à l’évolution de nos travaux de réflexion et de formation, nous alimentons le site http://ieccc.org/spip.php?rubrique15 avec une série de textes qui complèteront utilement cet ouvrage.

Un modèle systémique d’analyse : l’exagone des conflits.
On peut relever six dimensions qui jouent un rôle central dans la vie sociale entre humains. Les conflits sont liés à toutes ces dimensions à la fois. A travers les conflits, il est possible de découvrir ce qui est à changer pour vivre « une vie orientée par des valeurs ». Si nous comprenons ce qui « coince » ou est mis en danger à travers le conflit, nous pouvons alors le transformer de façon constructive. Selon la dimension en jeu, il faudra l’aborder avec différentes démarches et méthodes. L’interrelation entre les différentes dimensions permettra de décider à partir de laquelle nous choisissons de travailler. Pour chacune de ces dimensions et leurs rapports entre elles, l’Approche et transformation constructives des conflits (A.T.C.C..®) définit et développe un ensemble de concepts.1

La dimension Personne
Les émotions - grande source d’énergie corporelle - ont une fonction de veille pour soutenir la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux de la personne en vue d’une vie équilibrée : nos peurs nous alertent quand ces besoins sont en danger. Les modes de réaction et leurs manifestations dans la communication nous éloignent de la satisfaction de nos propres besoins. Ce sont cependant des formes d’expression utiles pour reconnaître les peurs activées en écho aux besoins mis en danger. La satisfaction de ses besoins fondamentaux renforce le désir ou l’élan vital. Mais lorsque le besoin particulier d’une personne est satisfait, cela peut provoquer le désir mimétique d’une autre personne, comme désir de s’approprier ce que le « modèle » affiche comme possession. Ce processus de rivalité mimétique et sa négation sont la source de nombreux conflits destructeurs.

L’être humain a besoin de limites. L’agressivité permet de protéger ses propres limites comme d’entrer en contact, en provoquant l’autre sur les siennes. La violence commence lorsque nous franchissons les limites de l’autre, sans autorisation. Les « résistances » sont des comportements acquis. Elles nous permettent de nous protéger de blessures et empêchent d’être en contact avec soi-même et avec l’autre.
Les conflits à forte implication personnelle surgissent en situation et de façon inattendues.
Ce manuel propose des méthodes pour s’aider soi-même et de nombreux outils pour intervenir de façon constructive comme « tiers » dans les conflits et tout particulièrement avec les participant/e-s submergé/e-s par des sentiments et des émotions au sein d’un groupe.

La dimension Lois et règles.
Dans les sociétés humaines, les lois définissent les rapports aux limites. Pour chaque limite transgressée, la loi prévoit une sanction. Ces lois sont définies à partir de valeurs qui sont inscrites dans les constitutions des pays. Les conflits naissent d’une contradiction entre des lois et des valeurs ou dès lors que les lois sont contestées par les membres d’une même société. Les règles sont des conventions entre personnes au sein d’un groupe, elles sont chargées de protéger les limites et donc les besoins de ses membres.
Les conflits ont souvent leur origine dans l’imprécision des règles ou dans leur transgression volontaire. Les sanctions permettent de poursuivre la vie collective en fonction des valeurs du groupe.

La dimension Structure.
La dimension structure concerne des processus dans les groupes et les organisations ainsi que les modalités de partage d’intérêts communs. Les processus concernent :
l’intégration ou l’exclusion,
la répartition du pouvoir,
la définition des rôles, des responsabilités attenantes et leurs relations entre elles,
les formes de la production (travail) et les rapports entre production et relation.
Les questions de partage surgissent à propos de l’espace, du temps et des biens.
Les conflits surgissent quand la structure contredit les besoins des personnes ou des valeurs de référence au sein d’un groupe, d’une société.

La dimension Rites.
Les rites procurent et renforcent l’appartenance à un groupe et à sa culture. Tous les êtres humains utilisent des rites pour partager un début (salutation, naissance), une fin (au revoir, mort), une crise et son dépassement (fêtes religieuses, nationales, etc). Les conflits surgissent quand le sens des rites est caché ou perdu et qu’ils sont utilisés comme support d’exclusion. Il s’agit alors de révéler le sens caché des rites, ce qui facilite ainsi l’intégration de chacun/e au sein d’un groupe ou d’une collectivité. Cela permet aussi, avec des rites spécifiques, d’aborder la perception et le dépassement de crises, ou d’accompagner dans la transformation constructive des conflits.

La dimension Culture.
La culture est l’ensemble des représentations qui permettent aux personnes de légitimer leurs pensées, sentiments et actes, et aux structures, de légitimer les processus et les modalités de partage. Ces représentations sont faites de présupposés culturels, construits et reconnaissables sous forme de polarités antagonistes. Les conflits surgissent lorsque des présupposés culturels antagonistes se rencontrent et provoquent chez les personnes des peurs et des réactions primaires. Nous proposons une diversité de méthodes pour clarifier les différences transculturelles, que ce soit dans l’accompagnement de groupe ou de personnes. Cela permet de reconnaître les peurs et de rendre négociable la satisfaction des besoins en jeu.

La dimension Valeurs.
Les valeurs sont fondamentalement des repères pour s’orienter, elles sont la traduction culturelle des besoins de la personne humaine. Elles sont ancrées dans les différents textes culturels et religieux de référence, la constitution des Etats et dans la Charte universelle des droits des humains.
Les conflits de valeurs, qui peuvent blesser l’identité des personnes ou des groupes, surgissent quand il s’agit, par exemple, de traduire ou mettre en œuvre des idées. Des méthodes permettent de différencier si ces idées recouvrent une valeur, une vertu, un besoin, une structure, un moyen ou un objectif. A travers les valeurs se jouent des différences de compréhension des repères, à travers les buts, des différences de mise en œuvre pour les atteindre. Ces différenciations permettent aux partenaires d’un conflit de mieux se comprendre et de trouver un accord équilibré.

Démarche pour une transformation constructive
élargir sa propre perception du conflit dans les six dimensions ;
analyser les comportements, les processus et les représentations ;
reconstruire à partir de valeurs et d’un programme constructif .

Effets des méthodes de l’A.T.C.C.®
activer ses capacités de perception de ses propres émotions et besoins, stimuler une plus grande empathie pour le partenaire du dialogue ;
s’autoriser à nommer les limites et les différences et ainsi prévenir des blessures et de la violence ;
renforcer sa responsabilité et l’accés à son pouvoir d’agir ;
renoncer consciemment à la violence, s’autoriser à innover dans les possibilités d’agir ;
développer des formes de communication et de confrontation centrées sur les besoins et les valeurs ;
faire appel à des tiers capables de poser et nommer des limites, ou de se comporter comme tels pour renforcer la sécurité et réduire les tensions ;
développer des méthodes de résistance constructive (actions publiques sans violence) pour se faire reconnaître comme partenaire légitime d’un conflit ;
développer le dialogue et la négociation entre partenaires égaux pour élaborer des compromis durables.

Les différences culturelles entre les auteurs

Durant la phase de rédaction de nos textes, nous nous sommes rendu compte que nous étions malgré tout, très différents l’un de l’autre quant au style et aux approches. La première impulsion pour harmoniser tout cela et pour développer un style commun a généré de nombreuses difficultés ou résistances. Cela n’allait pas, tout simplement. Nos points de vue respectifs se complètent assez bien et rendent les compromis difficiles. Il est ainsi possible que d’aucuns rencontrent, à la lecture de certains passages, quelques difficultés à trouver la “ clarté ” qu’ils recherchent. Nous avons préféré laisser en l’état les différences car elles donnent à voir une manifestation importante du travail interculturel.

Le « matériau » humain
 
Le matériau avec lequel nous travaillons ici est, bien entendu, l’être humain, les participant/e-s aux rencontres et aux stages ainsi que nous-mêmes, dans le rôle d’animateurs ou de formateurs. Nous commençons par exposer les paramètres de la dimension personnelle et décrivons les différentes approches qui nous semblent utiles pour observer l’être humain. Pour cela, nous nous référons à des éléments de la psychologie sociale, nous expliquons les notions tirées de l’Analyse transactionnelle, de la thérapie de la Gestalt et de l’Approche systémique.
Le domaine structurel concerne le groupe, ainsi que toute forme d’organisation dans laquelle les êtres humains se rencontrent et évoluent. Nous essayons également d’expliquer les interrelations à partir des outils des sciences sociales développés par Charles Maccio, René Girard. Nous les mettons en lien avec les antagonismes culturels qui jouent ici aussi un rôle important .
L’aspect culturel se rapporte aux facteurs constitutifs de la culture. Il s’agit des processus culturels de légitimation, les représentations des valeurs et les mythes qui jouent un rôle majeur. Nous décrivons l’approche de Gert von Hofstede, de Johan Galtung et de Jacques Demorgon et nous essayons de décrire nos propres applications.

L’apprentissage transculturel
Dans cette partie, nous exposons les bases de notre “ pédagogie ” et nous voulons attirer l’attention sur les interrelations à l’œuvre dans le processus d’apprentissage. Nous commençons ainsi par différencier les modes d’apprentissage et leur adaptation dans le travail de rencontre. Puis nous passons à l’image de l’être humain et décrivons les dimensions de l’apprentissage transculturel qui sont importantes pour nous.

La coopération transculturelle
Il en va ici en premier lieu du travail d’équipe. Avec les processus décrits dans le domaine structurel, nous présentons dans cette partie la nécessité et la difficulté de la coopération. Nous approfondissons les domaines qui nous semblent majeurs et encourageons tout le monde à tirer le plus d’enseignement possible des conflits.

Les outils du travail de formation et des rencontres transculturelles
Là, nous ouvrons la boîte à outils. Nous y trouvons les outils pour commencer, pour faire connaissance, s’échauffer, nommer ses attentes etc. Nous trouvons également des outils pour terminer une rencontre, comme le bilan, les tours de clôture, les au-revoir etc. Pour tout cela, il existe deux catégories d’outils : les jeux et les exercices. Nous décrivons les domaines d’application des exercices d’approfondissement ainsi que les techniques avec lesquelles il est possible de les utiliser. À cela s’ajoute un petit excursus sur le thème de l’animation de stage.

Des modèles pour la pratique
Comme nous sommes tous deux des acteurs de terrain, nous avons choisi d’appliquer ces outils, à titre d’exemple, dans quatre champs de travail :
les différences culturelles
la communication transculturelle
le rôle de la culture dans les conflits
la coopération transculturelle

A cette fin, nous avons introduit et expliqué des outils spécifiques.

Un concept issu de la formation
Dans cette partie, nous avons souhaité attirer l’attention sur les formations longues qui sont axées sur le processus. Nous avons animé six cycles formations franco-allemandes et deux dans les pays de l’Est, qui se sont déroulées sur dix huit ou quarante huit mois.

La conclusion porte sur quelques réflexions autour de la notion de “ fin ” dans les différentes cultures. Suivent une bibliographie et une liste d’adresses de centres de rencontre et de formation en Europe.

À tous celles et ceux qui feront de nouvelles expériences grâce à ce manuel et voudront bien nous les communiquer, nous adressons nos remerciements anticipés. Nous avons encore envie d’apprendre, nous sommes d’éternels débutants… Ce travail d’écriture nous l’a clairement fait comprendre.

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